29 avr. 2003

Ce que ma chère collègue a écrit dans ce dernier passage (Pas facile de s'adresser à elle... que dire ? Tu ? Elle ? Bon, avec un peu de chance elle se reconnaîtra...) m'a fait comprendre quelque chose : La foi peut téellement apporter un sens à la vie. Pas seulement une poignée de réponses à quelques questions métaphysiques mesquines comme la vie après la mort ou l'origine de cette planète, non, un sens à chaque seconde, à chaque pensée, à chaque geste. Le genre de sens que nous autres recherchons en appelant cela l'"épanouissement" ou encore "réussir sa vie". Et s'il suffisait de croire ?
Je n'ai jamais eu la foi, pas la moindre micro-seconde, pour quoi que ce soit, alors de là vient sans doute mon incompréhension. Quelque part je les envie, ils ont trouvé de quoi remplir leur existence, je suis vraiment mal placé pour les juger comme je l'ai fait, car malgré tous mes mots je n'ai rien trouvé de valable.
Cela doit être à la fois du courage et de la folie.
Comprendre, non, mais ressentir.
On a beau ne rien comprendre, sans rien saisir, on peut être saisi. D'horreur, d'effroi, d'inconscient mirage.
Il y a des peurs universelles qui nous tiennent au ventre, la peur de la mutilation, la peur de l'enfermement, du noir, de la manipulation.

Ou alors non.

Peut-être dans d'autres cultures on s'enfonce à corps perdu dans le rejet de soi pour soi, dans une vision plus globale, que nous avons perdu de ce côté de la Méditerranée. Une vision plus haute et plus noble peut-être. Qui glorifie la souffrance. Qui permet de tuer, de se tuer pour l'honneur de sa famille.
Dans ces cultures-là ce n'est pas la manipulation qui fait peur, ce n'est pas la perte de soi-même qui fait peur, mais la perte de ce sentiment d'appartenance à Dieu, la perte de ce sentiment d'éternité qui règne autour des mosquées.

Tellement peureux ou honteux d'eux-même, leurs envies, leurs passions, ils se refugient dans le magma violent d'un monde intégriste où la vie sur Terre n'est qu'un pélerinage.
Ce n'est pas un choix, c'est une culture.
Nous appelons ça du courage ou de la folie.

Nous ne comprenons rien.

22 avr. 2003

Il est clair que le fossé entre "soi" et "le monde extérieur" est un goufre qui n'est pas seulement philosophique, mais aussi sensitif. On sent réellement ce vide, il y a quelque chose de tangible, de concret. Je ne connais pas les Irakiens parce que je ne les ai pas touché, ni senti. Et pourtant, on me les montre à la télé, et tout à coup je les vois, ils ne sont plus totalement inconnus. Je pourrai douter de ces images mais en même temps il ne me resterait alors absolument plus rien d'eux, comme si au moment où l'on perd la dernière photo d'un membre de la famille, ce dernier est tout à fait mort.
Je ne peux plus entièrement ignorer car j'ai vu...
Ma personnalité peut s'enfermer autant qu'elle le désire, je me souviendrai quand même de ces hommes. Le dernier que j'ai vu par la lucarne magique avait une foi si inébranlable qu'il s'était fracassé le crâne, et la foule de pélerins en délire le portait, la tête ruisselante de sang frais, vers quelque lieu saint jadis interdit par le dictateur. Quelle image forte. Impossible à oublier. Et pourtant je ne la comprends absolument pas : je ne peux pas envisager une telle auto-mutilation, je ne saisis pas le sens de son geste, je n'ai qu'une idée vague de sa religion, et encore moins de ses sentiments à l'aube d'une nouvelle ère pour son pays. Une fois de plus l'image m'a sorti de mon cocon, elle m'a ému profondément, mais je ne l'ai pas comprise. J'ai pourtant essayé, mais c'était trop difficile pour moi.
Maintenant que j'y pense, je crois qu'il en est ainsi de tous mes sentiments : ils m'exaltent et guident toute ma vie, mais je n'en comprends pas la moindre étincelle. La lumière brille, et elle m'aveugle. J'aurais peut-être mieux fait de rester dans le noir.
Ce sont les jours en blanc et les jours en noir.

Il y a des moments faciles où l'on a conscience de rien. Ouf.

Il y a des moments l'extérieur nous bouffe. Une hypersensibilité et tout semble nous agresser un manque de sécurité, on ne sait plus rien et la souffrance est grande dans le monde, non ce n'est pas supportable, une bouffée de larmes un empire sensitif, une sensibilité de petite fille.

Il y a d'autres moments où rien n'existe que l'intérieur de la tête qui cogne qui veut de l'air qui crie qui refuse. "Je" prends une importance énorme, insupportable, la souffrance vient de tous les coins du corps et de l'esprit partout sans solution. Alors le monde c'est moi et le reste n'existe pas.

Dans tous les cas nous sommes enfermés, entre gris clair et gris foncé, espérant si peu un jour capter la lumière par les couleurs comme l'homme dans sa caverne espère si peu comprendre les formes, sans relief, qui sont tout pour lui.

16 avr. 2003

En fait tout ceci m'amène à songer que je passe d'un état à l'autre régulièrement, que ma sensibilité au monde extérieur zappe de "totalement isolé" à "hypersensible". Dans le premier état, tout ceci n'a pas de réalité, ce n'est qu'une ombre sur un mur, ces gens sont morts mais je ne les connais pas, ils auraient pu n'avoir jamais existé que cela n'aurait rien changé. Je sens tellement de malheur dans ma propre existence que je ne peux que deviner que les autres personnes puissent vivre quelque chose d'encore pire, mais je m'en moque. Dans le second état, je me sens étrangement touché par ces images, en ce sens où je suis ému mais je ne sais pas très bien quelle émotion adopter : faut-il être horrifié par les atrocités sanglantes ? Faut-il être scandalisé par les exactions criminelles ? Faut-il avoir un avis sur tout cela ? Je sens que j'ai un devoir d'émotion vis à vis de ces images mais je ne sais pas vraiment lequel.
Parfois je regarde sans comprendre, et parfois je vois sans vouloir comprendre. Je suis vraiment un sale chieur, jamais content, jamais de bonne volonté. ma seule consolation, c'est que nous sommes six milliards de chieurs. On se console comme on peut.

8 avr. 2003

ah oui mais tu te fous de tout, on dirait.
La guerre, pas la guerre. Les gens qui meurent, pas les gens qui meurent. Les 15 milliards de gens qui ne peuvent pas exister, et c'est leur non-existant drame, mais pas le tien.

Est-ce que ces images de souffrance ne nous touchent vraiment plus ? Est-ce que, plutôt, on s'insensibilise en pensant, qui que ce sont des images choc donc racoleuses donc nous dignes de nous intéresser, qui qu'en effet, tout cela existe depuis toujours dans tous les coins du monde et qu'il n'y a pas plus de raison que d'ordinaire de s'en inquiéter, qui, que, peut-être (mais là il faut être sacrément tordu quand même), ces images sont montées par les services irakiens pour nous les faire prendre en pitié.

Bref, rien n'est vrai, tout est très loin, rien ne nous concerne. Pas plus que d'habitude cette actualité mérite de nous émouvoir.

C'est heureux. Nous avons justement nos propres petites vies à gérer, déjà. Déjà notre bonheur à augmenter, déjà tout ce temps perdu à n'être pas exclusivement concentré sur l'augmentation de notre propre niveau de vie.

C'est heureux qu'on ne soit pas concerné. Sinon nous n'aurions plus le temps ni l'envie d'acheter la PlayStation qui nous permet, oh joie, de tout faire avec une seule machine. Avec une seule machine, faire marcher le commerce, prendre du plaisir à regarder des DVD qui nous permettent d'occuper des soirées en oubliant qu'il y a d'autres façons de vivre, conforter les faucons dans la recherche de profit et endormir sa conscience.

La vie est bien faite.