29 juin 2003

Peut-on se demander si notre vie est creuse, alors que nous ne sommes pas creux ?
Pourquoi ressent-on un tel sentiment de vide alors que tout dans la nature, depuis notre corps jusqu'aux galaxies, est plein !
Comment peut-on se sentir aussi irrémédiablement seul alors que chaque jour on craque dans les queues et les bouchons ?
Nous sommes trop, et nous ne sommes pas assez. Nous sommes vides, et nous débordons.
Peut-être est-ce car la matière dont nous voulons nous emplir, c'est l'amour. Peut-être que les gens que nous voulons voir autour de nous, ce sont les gens qui nous aiment (pour ceux qui en ont).
Ce qui est rare a de la valeur, ce qui est rare est beau, nous préférons un paquet de la lessive que nous aimons à mille paquets de lessive X ; nous demandons l'être que nous aimons à nos côtés, un milliards de chinois n'y suffiraient pas. Nous ne voulons pas la quantité, nous exigeons la quelité dans notre vie !
Un économiste verrait tout de suite où est l'erreur, il nous hurlerait au visage que sans la quantité on ne peut pas dénicher la qualité.
Cependant, je ne suis pas un économiste, et encore moins un rationnel. Je suis plein de quelque chose, mais je n'ai pas la moindre idée de ce dont il s'agit. J'attends que quelqu'un vienne se pencher sur moi, ait un regard pour moi, goûte à moi, et me donne son avis. Suis-je de bonne qualité ?

26 juin 2003

Est-ce que ma vie est creuse ?
Est-ce que tout existe au dessus, en dessous, à côté, sauf moi ?
Est-ce ce que je fais ne fais qu'ajouter des secondes aux secondes, du vide au vide ?
Est-ce que la somme de mes respirations m'inspire ?
Une ombre passe, un passant, une ombre dépasse, dépassée. (ok, celle-là je l'avais déjà faite)
Est-ce que le creux a envie de taper dans le tas ?
Est-ce que ce creux ne créé pas un manque ?
Est-ce que cette vie est inutile ?
Est-ce que toutes ces minutes d'ennui valent ces quelques secondes... De plaisir... De musique... D'impertinence...

Cette tension aujourd'hui dans mon être je suis vivante !
Je recommence à souffrir et savoir que j'existe !
Savoir que je ne suis pas à ma place, c'est déjà savoir que je crois avoir une place.
Quelque part où devenir une aspérité. Quelque part où l'on se cognerait à moi, où l'on me remarquerait. On aurait sûrement envie de m'arracher. Me faire revenir à l'état de creux.

creux, creuset, crayon, crayonné, crier, cri, croc, craquer, craquement.
Je m'arrache un cri, et je craque.

14 juin 2003

Sans vouloir non plus tout ramener à moi (mais en aimant le faire tout de même) je me suis rendu compte que je n'avais jamais eu d'agenda de ma vie. Je n'ai pas pris l'habitude de noter mes rendez-vous et , par chance ou par génie, jamais je n'en ai manqué un seul. Bien sûr, il me reste les incontournables coordonnées de mes innombrables amis, mais curieusement, là encore, un carré de papier de cinq centimètres de côté glissé dans mon portefeuille m'a suffi.
Alors j'en viens à me poser la question : est-ce que ma vie est creuse ? Est-ce qu'il ne se passe jamais rien dans mes journées ?
Ou est-ce que je suis si intelligent que je peux me passer d'agenda ? Ai-je une mémoire parfaite ?
Comme d'habitude lorsqu'on pose une question de ce genre, la réponse est entre les deux. Je ne suis pas un abruti total, et ma vie n'est pas trépidante.
Mon seul souci vient du fait qu'il n'en restera aucune trace. Car enfin c'est aussi à cela que peuvent servir les brouillons brouilonnés et les post-it post-ités : à conserver un écho des événements. Il reste toujours un morceau de papier pour prouver que cela s'est réellement produit, le ticket de cinéma, par exemple, vient nous rappeler qu'on était bien présent à cette séance... et puis on jette le ticket.
Et on se souvient encore du film.
Comme quoi on n'a pas besoin de papier, ni pour se souvenir, ni pour apprendre, et même pas pour oublier. La chair seule suffit amplement. La chair est marquée, imprimée en profondeur, on lit sur notre visage, on devine à nos cicatrices, et on peut lire dans mon coeur à livre ouvert.

11 juin 2003

des agendas gribouillés,
des cahiers, des papiers,
des bloc-notes, des post-it,
des aide-mémoire et des brouillons brouillonnés.

Et pourtant la vie ne reste pas, on essaie de la retenir.
Retrouver l'émotion. Au mieux on retrouve les mots, pas les mêmes, on retrouve les images, pas les mêmes, les visages, figés, défigurés.

On dirait qu'on écrit seulement pour se souvenir, on dirait qu'on se retourne sur nous-même à peine juste assez pour savoir quoi écrire, on dirait que lire nous fait nous retourner tellement loin, tellement dépassé, qu'on ne se comprend plus.

Et l'on apprend jamais rien. On ne fait que continuer à vivre , à faire face ou à s'enfuir. Le flot des choses connues passe parfois à la surface de la mémoire, puis on l'enfuit ; loin sous les décombres.

Moi j'oublie tout. Je note ce qui reste. Et ce qui est noté peut s'oublier. Je n'ai pas envie de me souvenir, de m'alourdir, il faut penser à la suite, il faut penser à tout de suite, et avec de trop gros bagages on ne va pas très loin, on ne va pas très bien. Au mieux mon corps se souvient doucement, tout doucement... Le temps qui passe l'altère. De rides et de carapaces. Et si l'on se souvient trop il n'y a plus d'interstices. Je suis pour l'amnesie. Je suis pour l'amnestie.

9 juin 2003

Quelque part, c'est peut-être à cela que sert le cinéma : à oublier.
Lorsque les livres sont apparus, et plus encore lorsque l'imprimerie les a démocratisés, nombreux furent ceux qui les critiquèrent car ils tuaient la mémoire. Il n'y avait plus besoin de se souvenir puisque tout était écrit dans un livre, c'était presque trop facile. Hélas on ne pouvait encore que stocker la connaissance, la culture scientifique, rien que des faits, pas d'émotions.
Puis vint le cinéma. Pourquoi fait-on un film ou une photo ? Pourquoi ruine-t-on des kilomètres de bobine sur le bébé qui rampe dans le salon ? sur le monument visité mille fois et filmé dix mille fois ? pour raviver les émotions, pour aider le coeur à se souvenir.
Là où le papier permettait de prendre des notes et aidait à se souvenir, la photo vient nous aider à ressentir. Et qu'en est-il du livre écrit par autrui ? cet ouvrage qui ne nous permet pas de nous souvenir, mais d'apprendre ? C'est partager un souvenir, en quelque sorte, c'est êtrer passif et absorber la connaissance de l'autre. Le film a le même rôle : une autre personne vient nous raconter ce qu'il a ressenti, et nous allons l'apprendre dans une salle obscure. L'auteur se souvient pour nous, notre coeur n'a plus qu'à s'installer confortablement dans le siège et à observer durant une heure et demie.
Il n'a rien d'étonnant à ce qu'on ne puisse se souvenir de ces émotions là : d'autres l'ont fait pour nous, nous n'avons pu qu'apprendre de quoi il s'agissait. Ce n'est pas un souvenir, c'est une connaissance. On connait, mais on ne sait pas. C'est mieux que rien. Et en plus, tout comme apprendre avec un livre, ça peut se révéler bien amusant.

4 juin 2003

Retour de Cannes :

Je me retourne et je me rends compte que je n'ai aucun souvenir. Des rires, des larmes, des histoires. De l'amour, du temps, de l'argent. Beaucoup de mots qui trottent, beaucoup de traductions, beaucoup de gens. Enormément de gens et de voyages. Et des images évidemment, comment oublier ?

Je me retourne.
Et je m'aperçois que je ne me souviens de rien.

Je suis partie nager jusqu'à la bouée. On ne la voit pas comme elle est depuis le rivage. Petite. Nager jusqu'à la bouée n'a rien de difficile. Je vois les vagues arriver, elles me bercent doucement, je vois la bouée grossir en s'approchant. Mais à l'arrivée ! Impossible de s'accrocher à cette bouée, énorme, qui tangue, effrayante, énorme. la chaîne qui s'enfonce dans la mer pour la retenir est sinistre, sale, je l'imagine gluante, vivante, nauséuse. Impossible de s'accrocher à cette bouée, et la regarder me donne le mal de mer.
Coup d'oeil vers le grand large coup d'oeil vers la plage. Je suis inquiète pour mon père qui m'attend sur le rivage. Il ne sait pas où je suis, ne me voit plus, pourrait s'inquiéter. Redoutant son effroi devant cette possiblité cinématographique de perdre sa fille dans la mer de Cannes, je reviens. Au plus vite. Jamais il ne me demandera jusqu'où j'avais nagé ni n'évoquera le fait qu'il s'était, peut-être, demandé où j'étais. Les tas de sable sont immenses. Aussi devant mes yeux, devant les siens. Je ne veux jamais devenir papa.

Je me retourne, encore, je m'aperçois que je me souviens au moins de cela. Et des hommes qui se débataient sur l'écran. Et ceux qui le crevaient. Cette montée des marches, ce départ en voyage, ces hotesses et ces annonces internationales... Nous voyagions dans ces salles sombres. Et nous avons connu tous les continents, les pluies, les canicules, et le ciel gris de paris. Dans les piscines, dans les usines, dans les résidences. Et dans l'absence de lieu aussi. Dans la magie.
Et dans les files d'attente.

Dans les files d'attente, et sous les téléphones, encore ailleurs.
Quelle heure peut-il bien être à l'extérieur ?
Il fait encore jour, il fait encore beau, c'est dimanche tous les jours, c'est tous les jours dimanches, tous les jours de 3 à 5 vies, et jusqu'à 3 heures pour nous convaincre.

Mais c'est vaincue que j'en reviens.
Je me retourne.
Je ne me souviens plus.