25 nov. 2003

A mon sens il est une notion indissociable de la liberté, il s'agit de la peur.
Nous sommes libres de commettre n'importe quel acte après tout, meurtre, viol, et ensuite nous en subissons les conséquences : la justice, la vengeance, la prison. On peut par conséquent imaginer que la peur d'être puni contribue en grande partie à notre reflexe social et à notre respect de l'autre. Si tu ne laisses pas un peu de liberté à l'autre, ce dernier viendra t'éclater ta gueule. On désire la liberté, et pourtant celle-ci parfois fait un peu peur.
Voilà un sentiment fascinant, la peur... on la résume trop souvent à n'être que la partie visible de l'instinct de survie, en s'imaginant qu'on a peur du noir car, oui, des choses dangereuses peuvent se tapir dans l'obscurité, on a peur des araignées car, oui, certaines araignées ont une piqûre vénimeuse, on a peur de la justice car, oui, les tribunaux ont définitivement les moyens de vous faire du mal.
Et pourtant la peur est plus que cela... il n'y a pas que la peur ponctuelle et matérielle que je viens d'évoquer - appelons-la la terreur, s'y ajoute également une partie de la peur que j'appellerai l'angoisse. L'angoisse est permanente, elle n'a pas d'objet bien précis comme la terreur ; on a peur du vide, on a l'angoisse de l'avenir, on a peur du feu, on a l'angoisse de l'échec. La terreur fait de vous un survivant, l'angoisse fait de vous un lâche. Hélas il est bien plus difficile de lutter contre l'angoisse que contre la terreur : aucune thérapie, aucune volonté ne peut vaincre le sentiment de vide qui nous accable trop souvent ou la détresse qui se lit dans nos yeux lorsque nous nous demandons à quoi cela sert de continuer à vivre pour les autres.
La terreur nous mène sur le chemin le plus sûr, l'angoisse nous fait baisser la tête : elle fait de nous des consommateurs amorphes honteux de leurs rares éclairs d'esprit critiques ; elle nous empêche souvent de nous exprimer et nous fait rater mille occasions d'être heureux ; elle est la petite voix qui nous chuchote de ne pas nous excuser lorsque l'on blesse quelqu'un au nom de l'"honneur" que j'appelle l'orgueil, de ne pas prendre en défaut nos amis et de les laisser sombrer dans l'erreur car "cela ne nous regarde pas", de ne pas aider ceux qui en ont besoin car "de toutes façons, qui m'aidera moi ?", de ne pas dire aux gens que l'on aime à quel poitn ils comptent pour nous car "seuls les faibles ont besoin d'amour". L'angoisse nous endort petit à petit devant notre poste de télévision, elle est un faux sentiment de liberté, elle n'est que silence.
Comme quoi la terreur a du bon, et qu'il est parfois bien agréable de se faire peur.

20 nov. 2003

"Ah si j'étais libre"
On en fait tout un plat de la liberté.
"la liberté des uns s'arrête où commence celle des autres".
Est-ce respecter la liberté des gens que de balancer de la publicité à qui mieux-mieux ? Est-ce respecter la liberté des gens que de gribouiller les publicités dans le métro ? Est-on libres dans les limites d'une réglementation ? Nous sentons-nous enchaînés ?

Notre liberté est totale, dans les limites du possible, mais provisoire. Personne ne t'empêche réellement de tuer ton voisin ou de faire une esclandre, ou de faire le con avec de la peinture dans le métro. Tu risques, seulement, de perdre ta liberté. D'être enfermé. Et là, dans l'idéal, on t'empêchera réellement d'être libre, c'est à dire, de tuer ton voisin, de te tuer toi-même, d'aller et venir, d'avoir des relations sexuelles et/ou affectives satisfaisantes.
C'est un risque à prendre ou à laisser, car tu peux aussi ne risquer qu'une amende. Rien ne t'empêche de garer ta voiture devant l'entrée de garage de ton voisin. Seulement tu risques de payer. Rien ne t'empêche de te fournir de la drogue, seulement il faudra en subir les conséquences. Rien ne t'empêche de te mutiler, de te faire du mal, de te tirer une balle dans le pied, et dans le même ordre d'idée, tu payeras. Rien ne t'empêche de te compliquer la vie au possible en te prenant la tête pour tout et pour rien et ne jamais être content de rien. Tu payes.

Est-ce être libre que se laisser faire par son inconscient, qui fait bien du mal avec ses névroses latentes ? Est-ce être libre ? N'est-on pas libre seulement lorsqu'on a mis tout ça à jour, lorsqu'on a enfin compris qui l'on était et ce qu'on pouvait faire de sa vie ? Mais alors, n'est-on pas une sorte de chose qui n'a presque plus de vie, presque plus de passion, parce que la passion, justement, ça fait mal, ça alienne. Tiens, rien que tomber amoureux, est-ce continuer à être libre ? Quelqu'un de libre, serait, libéré de toute contrainte interne ou externe, une sorte d'entité détachée de tout, un électron libre, quelque chose que rien ne touche. Alors ?
Est-ce que la liberté est seulement enviable ? Comment pouvons-nous être libre sans être détachés ? Peut-on penser que laisser libre cours à ses pulsions c'est être libre ? Est-ce que nous sommes définis par nos passions, notre pathos, nos problèmes, notre agressivité ? Ou plutôt par notre équilibre, notre envie d'aller mieux, d'aller plus loin, de faire aller plus loin, de faire aller mieux ? Mais si on commence à penser "positif", ce qu'on appelle notre liberté devient difficile à porter. Je suis libre de faire le bien, je suis libre, maintenant que j'ai fait ma psychothérapie, voilà, je me suis libéré de tous mes problèmes, de tous mes désirs. Maintenant je suis moi. Et normalement, je n'ai plus envie de violence de destruction. Peut-être, je suis un être placide. Tranquilisé. Libéré. Justifié, comme disait Jésus.

Cela nous ramène à ce que j'appelais tout à l'heure "les limites du possible". Il n'est pas possible à mon avis d'être tout à fait libre dans sa tête. Nous sommes faits de nos contradictions. Et même la meilleure mise à jour de l'inconscient, à mon avis, ne nous empêchera pas d'être des Hommes. D'avoir des envies. Des envies qui ne sont pas réalisables. Voler comme un oisieau, nager comme un poisson. Avoir un savoir encyclopédique. Tout comprendre de tout le monde. Plaire à tout le monde. Connaître tous les pays du monde, avoir un ami dans chaque port, ne jamais vieillir.

Avec toutes ses barrières, les unes existant d'elles-mêmes, les barrières physiques, les autres qu'on s'impose à soi-même, les barrières psychologiques, nous ne sommes pas libres. Nous ne pourrons jamais être libres.

Et cela relativise tellement les petites barrières juridiques, ces rustines qu'on a encore ajouté à notre manque de liberté pour pouvoir vivre ensemble... Je ne dois pas taper ma copine ni surtout la tuer à Vilnius. Mais je peux le faire. Alors que, par mon manque de liberté intrinsèque, je ne peux pas avoir réglé tous mes problèmes psychologiques ce qui m'empêcherait d'avoir envie de la taper, je ne peux pas devenir un surhomme et faire des choses extraordinaires, je suis cloué au sol, je m'ennuie, la vie est trop petite. Alors, seulement, je frappe. Et ma liberté de détruire c'est mon enfermement dans ma maladie. Faire suffisemment peur aux gens pour les empêcher de péter leur plomb ce n'est pas réduire leur liberté, c'est juste composer avec le malaise. La liberté peut venir d'une contrainte, les moines bénédictins ne me contrediront pas.

La liberté des uns s'arrête où commence leur problème... Cachez les problèmes, il reste ce qu'on pense être la liberté. Ce n'est pas la liberté, c'est la fuite. La liberté de rester enfermé, qui me fait un peu penser à la liberté qu'aurait laissé Dieu de ne pas avoir la foi. Presque la liberté d'être malheureux, la liberté de faire du mal.

3 nov. 2003

Et si j'avais demain un plein et entier contrôle sur ma vie, que ferais-je ? Si demain enfin j'étais libre, que se passerait-il ?
Peut-être qu'il ne se passerait rien de bien spécial, que la vie continuerait en suivant sa routine familière, à peine troublée par ses petits incidents grandement prévisibles. Ce serait là admettre l'hypothèse d'une vie calme et décidée, où nous vivons tous ensemble en se respectant tranquillement. Cela signifierait également que la liberté a un sens, mais n'a pas de réalité tangible.
Ou peut-être que je profiterai : je tenterai de tout changer à chaque seconde, mes proches accepteraient ces changements, les encourageraient, les aideraient ;Même si mes essais s'avèraient infructueux, j'aurais appris dans l'echec et je me serais approché de la réussite. On vivrait là dans un monde de rêve où la seule limite à notre vie serait notre imagination, où les esprits vagabonds voyageraient aux quatre coins du monde, où les esprits amoureux ne se quitteraient pas une seconde, et où même en ne faisant rien on se sentirait accompli.
Ou, dernière option, peut-être que je péterai littéralement mon plomb. Une fois libre, je n'aurai plus de limite, j'insulterai et frapperai tous ceux qui m'ennuient, je ne respecterai plus rien, Mes désirs non assouvis me rongeront de l'intérieur tandis que je lutterai pour être reconnu par la force. J'imagine là une société sauvage où les hommes vivent comme des étoiles filantes avant d'être ravagés et de s'effondrer dans la poussière.
Et je me dis alors qu'il est absolument certains que les hommes sont libres, car ils veulent vivre comme des étoiles filantes dans le monde de rêve, mais finalement se retrouvent à errer au sein du monde tranquille. Laissez la violence dans mon coeur, ignorez les rêves de mon esprit, vous ne me verrez que comme un être placide, et je ne peux pas m'imaginer que vous m'accepteriez autrement. Peu importe mes échecs, mes réussites et mes désirs : ils ne définissent pas ma personne. Je suis ce que vous voyez, et rien d'autre.
Et je suis tout à fait libre.