J'ai le blues, aujourd'hui.
Ca arrive. Je suis malade. Je souffre, pas à la mort, juste un peu, juste de quoi me rappeler à chaque seconde que je ne suis que chair, que je suis faible, que je créverai bientôt et que mon agonie sera lente, comme tout le monde. Avec l'habitude d'être en bonne santé, j'avais oublié tout ça. J'ai décidément la mémoire courte.
Ce qui est divin dans la douleur, c'est lorsque l'on sait qu'elle va s'arrêter. Je peux comprendre les masochistes qui trouvent une satisfaction à s'infliger une gêne pour savourer le moment de la délivrance. Le soulagement vient délicieusement balayer toute la peine en un souffle.
Cependant il est des douleurs qui ne cessent jamais. Il est futile d'en attendre le moindre répis. Le sel événement susceptible de mettre fin à cette sensation atroce, c'est la mort. On se dit qu'on doit être fort, être "un dur", et encaisser cette souffrance en silence. Il ne sert pas à grand chose de dire qu'on a mal, comment quelqu'un d'autre pourait comprendre ? Comment quelqu'un d'autre pourrait soulager ? C'est impossible.
Mon corps, ce large vaisseau étrange et rayonnant, cet océan dont je ne connais qu'une partie de la surface et dont les profondeurs me sont totalement inconnues ; parfois quelque douleur effleure et je devine un muscle, une côte, un boyau dont j'ignorais l'existence jusqu'à ce qu'il me fasse mal, jusqu'à ce qu'un médecin me dise que quelque chose cloche. Ai-je vraiment besoin de tout ça pour rester en vie ?
Souvent je regarde ce corps. Assurément c'est là un inconnu qui me regarde depuis la glace. Qui est ce grand type ? l'air indolent, une énorme masse de cheveux raides et poisseux posée sur le sommet du crâne, avec son menton large et arrondi, son nez rougeaud et ses grosses lèvres violacées ? Qui est-il, avec ce cou épais et ces épaules massives,ces grands doigts calleux, ce ventre tendu et plein, ces jambes longues et velues ? Est-il fier de lui ? Est-il beau ? Comment le saurais-je ? J'en suis un autre, cela se voit.
Pourtant je dois bien avoir un corps quelque part, je le sens bien, mais je n'arrive pas à me résigner et à me convaincre que les deux mains qui se promènent insouciantes sous mon regard sont bien les miennes, que toutes ces choses rosâtres étendues, là, en dessous, sont bien à moi.
Mon esprit est tellement dynamique et plein de vie, il vole littéralement, fais des virages mortellement serrés, pique des accélérations foudroyantes, il est une plaine infinie, il est acéré comme l'arête d'une montagne, il est la jonction entre le ciel et la mer; comment comparer cet esprit ? ce corps grotesque et indistinct ? Comment imaginer une seule seconde que c'est mon corps qui contient mon esprit ? C'est trop absurde.
Je suis beau, je le sais, mon esprit est beau, mon âme est merveilleuse, tout en moi respire la vie. Sauf mon corps ; mais il ne m'appartient pas. Je n'en veux pas ; et ce n'est pas la peine de m'en amener un autre, cela ne changera rien.
Je n'ai pas besoin de corps pour vivre.
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